Vivre dans un Pays Non Musulman

Est-il permis pour un musulman de résider dans un pays non musulman?

En ce qui concerne le droit pour un musulman ou une musulmane de résider dans un pays non musulman, il y a en réalité deux questions bien distinctes qui se posent:

Dans quels cas est-il obligatoire à un musulman qui réside dans un pays non musulman d’émigrer pour aller habiter un pays musulman ?

Dans quels cas est-il permis à un musulman de s’établir dans un pays non musulman ?

Dans ce présent article, j’essaierai d’apporter des éléments de réponse à la première question uniquement (car c’est en réalité celle qui concerne une bonne partie d’entre nous), et ce, principalement d’après les écrits de savants musulmans contemporains tels que Moufti Afzal Ilyass (Afrique du Sud), Cheikh Khâlid Sayfoullah (Inde) etc…
Mais je précise que l’avis qui va être présenté ici ne fait pas l’unanimité entre les savants.

Tout d’abord, il faut savoir que, selon les oulémas, il existe principalement deux sortes d’émigration (« Hidjrah »):
– De délaisser les péchés, sans se déplacer géographiquement. Cet « exil » est obligatoire à tout musulman et musulmane.
– De délaisser un lieu pour aller en habiter un autre: Cela est obligatoire pour celui qui réside dans le « Dâr-oul- Harb » (la définition de ce terme va suivre) ou pour celui qui se trouve dans les deux cas suivants:
– Lorsque sa vie, sa propriété et sa dignité sont en danger.
– Lorsqu’il se trouve dans un lieu où il n’est plus libre de pratiquer sa religion, il ne peut plus venir en aide à ses frères et sœurs musulmans, mais aussi lorsqu’il ne peut plus mettre en application les « Chiâr oul Islâm » (actes caractéristiques de l’Islam, comme l’Adhân, l’accomplissement de la prière de Djoum’a ou des Ides en congrégation, le port de la barbe, le respect du voile, l’enterrement suivant le rite islamique, l’établissement de mosquée ou de lieux de prière par exemple…).

Pour une meilleure approche de la question, il convient également de rappeler les éléments suivants:
Durant les premiers siècles de l’Islam, les juristes musulmans ont établi une classification des différents pays du monde d’alors, et ce, en fonction de l’autorité qui dirigeait le pays et de la condition dans laquelle se trouvaient les musulmans qui y résidaient. Voici quelques uns des termes que l’on retrouve dans les ouvrages de jurisprudence islamiques:

– « Dâr-oul-Islâm » (espace de l’Islam): Les juristes désignaient ainsi le pays qui appartenaient aux musulmans, au sein duquel la législation islamique était en vigueur et où les musulmans étaient en sécurité et pouvaient pratiquer librement leur religion.

– « Dâr-oul-Harb » (espace de guerre): Etait ainsi désigné le pays gouverné par les non musulmans, au sein duquel la législation islamique n’était pas appliquée et où les musulmans étaient privés de leurs droits fondamentaux et ne pouvaient pas pratiquer leur religion. Selon les savants, il est obligatoire pour le musulman qui réside dans le « Dâr-oul-Koufr » de le quitter dès que possible et d’émigrer vers un autre pays.

– « Dâr-oul-Amn » (espace de sécurité), aussi appelé « Dâr-oul-‘Ahd » (espace du traité): Ce terme était employé pour faire allusion au pays non musulman au sein duquel les musulmans jouissaient entièrement de l’ensemble de leurs droits fondamentaux, et plus particulièrement de la liberté de foi et de pratique religieuse. De même, dans ce genre de pays, les musulmans pouvaient œuvrer pour la propagation de l’Islam et faire la « Da’wah ». Il n’est pas obligatoire pour les musulmans qui vivent dans le « Dâr-oul-Amn » d’émigrer vers une autre contrée. On pourrait considérer l’Abyssinie à l’époque de la Révélation comme un exemple de « Dâr-oul-Amn » pour les musulmans. Après l’émigration du Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam) vers Médine, de nombreux Compagnons (radhia Allâhou anhoum) sont pourtant restés là bas. Il est rapporté par exemple que Abou Moûssa Ach’ari (radhia Allâhou anhou) ne quitta l’Abyssinie pour Médine qu’en l’an 7 de l’Hégire.

La question qui se pose maintenant est de savoir si cette classification peut encore être actualisée telle quelle avec les différents pays du monde de nos jours, ou s’il est nécessaire de définir de nouveaux concepts qui correspondent mieux à la réalité géo-politique actuelle… Ensuite, la seconde étape consiste à déterminer à quelle (s) catégorie (s) appartiennent les pays non musulmans maintenant.

A ce sujet, il y a eu des débats poussés entre certains savants contemporains (pour avoir un aperçu de la complexité du problème, voir notamment la synthèse de Târiq Ramadan à ce sujet dans son ouvrage « Etre musulman européen » – Pages 195 à 246). Tandis que certains sont d’avis que la classification élaborée par les anciens juristes a tout lieu d’être appliquée dans le monde actuel, d’autres pensent qu’il convient à présent d’élaborer de nouveaux concepts, et ce, en raison notamment des mutations très importantes qu’ont connus les pays musulmans (au niveau de la sécurité, de la paix, du respect des droits fondamentaux, mais aussi de la liberté de pratique religieuse, la situation donne à réfléchir…), mais aussi les pays non musulmans (où il n’est pas rare de constater que les libertés individuelles sont bien plus garanties et protégées que dans certains pays musulmans…).

A partir de là, il y a tout naturellement des divergences qui sont apparus entre les savants contemporains pour ce qui est de déterminer la qualification à donner aux pays non musulmans, et plus particulièrement aux pays occidentaux dans lesquels nous vivons.

A ce sujet, l’avis retenu par une bonne partie des savants (dont Cheikh Khâlid Saïfoullah et Moufti Afzal Ilyass), les pays occidentaux, ainsi que les autres états laïcs actuels, pourraient être considérés comme faisant partie du « Dâr-oul-Amn ». En effet, ils répondent aux critères cités ci-dessus: Sans chercher à se leurrer, ni à minimiser les difficultés d’ordre spirituel (dû par exemple à la disparition de la pudeur dans ces sociétés…) et également pratique (comme par exemple sur les questions financières…) auxquelles le musulman est confronté en France, comme dans les autres pays d’Europe Occidentale, il n’en reste pas moins cependant que l’on se doit de reconnaître que la Constitution de ces même pays garantit aux musulmans la liberté de foi et de culte; ceux-ci vivent également en relative sécurité, jouissent de leur droits fondamentaux et peuvent librement pratiquer les obligations fondamentales de l’Islam (prières, jeûne, hadj, zakâte…). Il est également possible de respecter les « Chiâr oul Islam », tels que l’Adhân (qu’il n’est pas nécessaire de lancer à travers les haut-parleurs), la prière de Djoum’a ou la prière des deux Ides; de même, les musulmans bénéficient d’une grande liberté pour ce qui est de la « Da’wah » et de la propagation de l’Islam etc…

Il apparaît clairement d’après cet avis qu’il ne nous est pas obligatoire , dans les conditions actuelles, de quitter le pays dans lequel nous résidons pour émigrer vers un pays musulman.

Pour être complet cependant, je tiens à reproduire (avec quelques modifications) un passage, publié dans la passé sur la Page de l’Islam, qui évoque les difficultés d’ordre spirituel auxquelles nous sommes confrontés dans notre environnement occidental et contre lesquelles nous devons nous efforcer de lutter efficacement :

Il est vrai que dans la vie quotidienne, le musulman qui vit en Occident est l’objet de tensions multiples qui rendent son cheminement religieux plus difficile, comparativement à celui qui vit dans un environnement plus axé autour des principes islamiques. Mais ces problèmes ne remettent en question ni la simplicité et la facilité qui caractérisent l’Islam, ni l’universalité de son message. Ces difficultés n’expriment pas non plus une limite quelconque de la possibilité d’adorer Dieu et son confinement à certaines zones géographiques. (Une autre caractéristique de l’Islam est la conformité (déclarée et expérimentée) de son message à la nature humaine. Il présente ainsi des croyances claires et accessibles à tous, mais aussi un code de vie complet où tous les besoins fondamentaux de la personne humaine (besoins physiques, psychiques, matériels, etc…) sont pris en considération et respectés. Dans l’ensemble, les préceptes islamiques, de par leur conformité à la nature humaine, sont donc relativement faciles à mettre en pratique. Par ailleurs, les savants ont, depuis toujours, essayé d’apporter des réponses concrètes aux difficultés qui se sont présentés aux musulmans à travers les temps, par l’intermédiaire du processus de l' »Idjtihâd » (Effort déployé par les juristes musulmans pour trouver une application des textes qui, tout en respectant l’esprit de la Révélation, soit en prise avec l’époque et le lieu où vivent les musulmans et prenne en considération leurs conditions de vie)). Le pourquoi de ces difficultés auxquelles nous sommes confrontées se situe ailleurs.

Une des raisons qui m’apparaît être à l’origine de ces problèmes est le fait que l’application d’un certain nombre de règles islamiques demandent l’implication d’une bonne proportion de la population, et comme ce genre de participation et mouvement collectifs n’existent pas (encore…) dans les sociétés occidentales entre les musulmans, ceux-ci ne peuvent donc trouver des alternatives licites pour remplacer les projets auxquels ils ne peuvent adhérer sans aller à l’encontre de leur religion. C’est le cas par exemple pour le projet économique. Force est de constater que dans ce domaine, les préceptes islamiques sont souvent en contradiction avec les règles en vigueur ou les pratiques courantes dans les société Occidentales. Une grande partie des transactions économiques contiennent sous une forme ou une autre de l’usure et de l’intérêt. Cet état de fait représente un défi constant pour le musulman cherchant à se développer matériellement, tout en respectant sa religion, car il est conscient que ce genre de pratiques est interdite pour lui. Il y a encore d’autres projets qui sont également concernés par cette difficulté: A titre d’exemple, on pourrait citer l’organisation d’un système d’éducation islamique pour les plus jeunes, la mise en place d’écoles islamiques, la structuration pour ce qui est de produire et de distribuer des produits alimentaires respectant les impératifs de base de notre religion (viande halâl…), la création de sociétés pouvant offrir aux musulmans des emplois qui leur permettent de respecter leur devoirs religieux, notamment en ce qui concerne le voile pour la femme…
Autre sujet de préoccupation: l’aspect moral de l’environnement qui prévaut en Occident. A vrai dire, les lacunes constatées au sujet des valeurs morales essentielles n’inquiètent pas seulement les musulmans. Cependant, ce qui cause plus que tout problème au musulman, c’est la dégradation des mœurs, et la disparition de plus en plus rapide de toute notion de pudeur dans l’environnement occidental. Ce qui le contraint à déployer de grands efforts afin de se maîtriser et de ne pas tomber dans des péchés comme l’adultère, le « Zinâ » etc…
Il s’agit donc là de quelques uns des problèmes que le musulman qui vit en Occident doit apprendre à faire face et à surmonter, afin de ne pas s’égarer de la voie tracée par Allah (azza wa djalla) et de rester fidèle à son identité de musulman.

Je voudrai par ailleurs apporter deux précisions très importantes:

Tout d’abord, il ne s’agit surtout pas de se donner bonne conscience en faisant porter la responsabilité de ses propres faiblesses de façon exclusive à l’environnement occidental. Il faut aussi reconnaître les grandes opportunités qui s’offrent à nous dans ces sociétés et on doit avouer par exemple que les musulmans qui vivent en Occident bénéficient d’une liberté de culte, de croyance et de pratique religieuse, mais aussi une liberté d’expression et d’action dont, malheureusement, les habitants de beaucoup de pays musulmans actuellement ne jouissent pas. A nous maintenant de profiter pleinement de ces opportunités.

Le second point sur lequel j’aimerai attirer l’attention, est que tout musulman qui vit en Occident se doit de méditer sur les versets du Qour’aane qui ont été révélés avant l’émigration du Prophète (sallâllâhou alayhi wa sallam) vers Médine et de s’en imprégner profondément. En effet, à Makkah, les musulmans étaient dans une situation minoritaire et vivaient dans un environnement qui leur était hostile.

Quatre des enseignements principaux que l’on retrouve souvent dans ces versets sont les suivants:
– Fortifier sa foi en Allah, le Tout-Puissant, Détenteur du Pouvoir Absolu et Maître du Jugement Dernier et raffermir ses croyances en général.
– Faire preuve de persévérance et implorer l’aide du Créateur face à toute sorte d’épreuves ou difficultés.
– Multiplier les pratiques individuelles (comme la récitation du Qour’aane, la prière de la nuit… Voir par exemple la sourate « Al Mouzzammil ») et agir sur sa réforme personnelle.
– S’efforcer de propager autour de soi le message et la beauté de l’Islam, en adoptant notamment un comportement modèle, basé sur celui de notre Bien Aimé Prophète Mouhammad (sallâllâhou alayhi wa sallam).

Notons pour conclure que le mérite du musulman qui est sincère dans sa quête spirituelle, et qui fait de son mieux pour manifester sa soumission envers Dieu, même en présence de difficultés, sera certainement proportionnel à ses efforts. Une telle personne bénéficiera, Incha Allah, de beaucoup de faveurs et de grâces de la part de Son Seigneur, et l’on peut espérer qu’il profitera d’un pardon et d’une miséricorde divine particulièrement grands pour ses fautes et ses erreurs.


Source : Sheikh Muhammad Patel

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