Chirurgie Esthétique

La chirurgie esthétique est-elle autorisée?

Le recours à la chirurgie esthétique pour remodeler ou embellir l’aspect de certaines parties du corps malformées ou endommagées est relativement courant dans nos sociétés. La question qui se pose naturellement pour nous, musulmans et musulmanes, consiste à savoir dans quelle mesure cette pratique est-elle en conformité avec les principes énoncées dans nos références religieuses…

Avant tout, il convient de rappeler deux principes essentiels, qui sont en rapport avec l’attention que le musulman et la musulmane peuvent accorder au soin de leur apparence physique :

L’Islam encourage l’embellissement…

– L’embellissement et l’expression de la beauté sont, en soi, licites et même, dans une certaine mesure, appréciés en Islam. Allah dit dans le Qour’aane :

« Dis : « Qui a interdit la parure d’Allah, qu’Il a produite pour Ses serviteurs (« zînat Allâhillati akhradja li ‘ibâdih »), ainsi que les bonnes nourritures ?  » Dis : « Elles sont destinées à ceux qui ont la foi, dans cette vie , et exclusivement à eux au Jour de la Résurrection. » Ainsi exposons-Nous clairement les versets pour les gens qui savent. » (Sourate 7 / Verset 32)

Az Zamakhchari et Al Âloûsi, commentant le terme « zînah » employé dans ce verset, écrivent que celui-ci désigne les vêtements, ainsi que tout ce qui est utilisé comme moyen d’embellissement. (Réf : « Al Kachâf » – Volume 2 / Page 101 – « Roûh oul Ma’âniy » Volume 8 / Page 111)

Ar Râzi indique pour sa part que, selon une interprétation donnée à ce terme, celui-ci fait allusion à l’ensemble des parures ainsi que tout ce qui permet d’embellir. Il ajoute ensuite, en substance, que celles-ci sont licites, exception faite de ce qui a été spécifiquement désigné par une preuve – d’interdiction. (Réf : « Tafsîr Kabîr » Volume 14 / Page 63)

L’appréciation de l’embellissement et de l’attention accordée pour soigner son apparence physique – non pas par orgueil, mais afin de manifester la faveur divine dont on a été gratifié (Voir à ce sujet les écrits de Ibn Hadjar r.a. – « Fath oul Bâri » – Volume 10 / Page 260) – ressort également du Hadith bien connu qui dit en ce sens : « (…) Dieu est Beau – Il aime la beauté (…) » (Mouslim)

En Islam, il n’est donc pas question de lutter contre le désir et la volonté de s’embellir, qui, à vrai dire est un trait même de la nature humaine : Les enseignement islamiques visent plutôt à orienter l’être humain quand à la façon de satisfaire ce désir, afin de l’éviter de sombrer dans certaines attitudes qui pourraient porter préjudice, moralement, spirituellement ou autre, à sa propre personne ainsi qu’à ceux qui l’entourent. C’est justement pour cette raison que des limites bien précises ont été énoncées à ce niveau :

Le Qour’aane condamne par exemple le « Tabarroudj », qui est défini par certains savants comme étant le fait, pour la femme musulmane, de s’exhiber en présence d’hommes étrangers en adoptant une attitude de nature à provoquer des désirs illicites…

Par rapport au sujet précis que nous évoquons, il y a également un autre point très important qui a été énoncé dans nos références : Tout ce qui relève de l’excès en matière d’embellissement est condamné.

… mais condamne l’excès.

– Comme on peut s’en rendre compte quand on considère nos préceptes religieux en général, la voie adoptée en Islam est toujours celle du juste milieu et de la modération. Ainsi, si l’Islam autorise et encourage l’homme et la femme de soigner leur apparence physique, il leur interdit strictement cependant de modifier celle-ci (de façon frappante ou irréversible) par pur souci d’embellissement. C’est en gardant cela à l’esprit que l’on arrive à comprendre pourquoi :

-> d’un côté, il a été enseigné -aux musulmans en général- d’enlever les poils du pubis et des aisselles, de se couper les ongles, -et aux hommes en particulier- de se circoncire et de se tailler la moustache (tous ces actes ont d’ailleurs été désignés comme relevant de la « Fitrah », de la nature humaine),

-> et d’un autre côté, il leur a interdit des actes comme l’épilation les sourcils, le tatouage, etc…

Certaines formes de ce second type d’embellissement prohibé -et considéré comme relevant de l’excès, ont même été qualifiées d' »altérations de la création d’Allah » (« taghyîr khalqillâh »), altérations que le Qour’aane désigne comme découlant d’une inspiration satanique :

« Allah l’a maudit et celui-ci (le Diable) a dit : « Certainement, je saisirai parmi Tes serviteurs une partie déterminée. Certes, je ne manquerai pas de les égarer, je leur donnerai de faux espoirs, je leur commanderai et ils fendront les oreilles aux bestiaux (c’était là une pratique superstitieuse des arabes païens) ; je leur commanderai, et ils altéreront la création d’Allah… » (Sourate 4 / Versets 118-119)

Le sens et la portée de ce verset coranique est explicité par le récit suivant : Il est rapporté qu’une fois Ibnou Mas’oud (radhia allâhou anhou) avait maudit celles qui exécutent les tatouages et celles qui se font tatouer (« al wâchimât wal moustawchimât »), celles qui s’épilent et se font épiler (les sourcils, selon l’interprétation donnée par l’Imâm Abou Dâoud r.a., ou les poils du visage, selon l’interprétation de certains autres savants…) (« an nâmisât wal moutanammisât »), celles qui se font limer les dents par coquetterie (« al moutafalidjât lil housn »), altérant ainsi la création de Dieu. » Une femme lui en fit le reproche. Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) répliqua : « Et pourquoi ne maudirai-je pas ceux que l’Envoyé d’Allah (sallallâhou alayhi wa sallam) a maudit (…) » (Rapporté par Boukhâri et Mouslim) *1

On soulignera encore que tout changement physique qui aurait pour conséquence de dissimuler l’apparence réelle et naturelle et de tromper ainsi autrui a également été condamné dans nos références (voir à ce sujet les propos de l’Imâm Khattabi r.a., cités par Ibn Hadjar r.a. – « Fath oul Bâriy » – Volume 10 / Page 380). Dans un Hadith rapportée par Ibn Oumar (radhia Allâhou anhou), il est dit que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a maudit celle qui rallongent les cheveux des autres et celles qui se font rallonger les cheveux (…). (Boukhâri et Mouslim)

En ce qui concerne la chirurgie esthétique…

C’est en gardant à l’esprit ces deux principes essentiels que l’on peut arriver à comprendre les avis juridiques émis en ce qui concerne le caractère licite ou illicite de la chirurgie esthétique.

– Le recours à la chirurgie esthétique est permis pour un homme ou une femme lorsqu’il s’agit de supprimer des anomalies physiques, de restaurer des fonctions perdues de certaines parties du corps qui ont été endommagées, et, dans une mesure générale, de remédier à un défaut préjudiciable qui occasionne une souffrance physique ou une détresse morale réelle et importante, et ce, qu’il s’agisse d’une malformation d’origine congénitale ou résultant d’un accident ou d’une maladie – ce type de chirurgie est souvent qualifié de « chirurgie réparatrice ». C’est le cas par exemple des opérations entreprises pour corriger la malformation dont est victime l’enfant qui naît avec un bec-de-lièvre, ou des doigts collés entre eux. C’est aussi ce qui envisagé pour venir en aide aux personnes qui ont été victimes d’accidents ayant provoqué des lésions et des blessures importantes au niveau du visage ou ailleurs, mais encore à ceux qui ont été brûlés ou mutilés, etc…

Certains savants (c’est le cas par exemple de Cheikh Outheïmin r.a. – Réf : « Fatâwa Islâmiya » – Volume 4 / Page 412) font le rapprochement entre ce type de chirurgie, motivé par le besoin ou la nécessité, avec la permission accordée par le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) à un Compagnon (radhia Allâhou anhou) – Ourfoudja bin As’ad (radhia Allâhou anhou)-, dont le nez avait été sectionné au cours d’une bataille, d’avoir recours à une sorte de prothèse en argent pour remplacer l’organe perdu. (Réf : « Sounan Abi Dâoûd » – Hadith N° 4232 – Ce récit est également mentionné dans bon nombre d’autres ouvrages de Hadiths, et Cheikh Choueïb Al arnâoût écrit au sujet d’une des versions présentes dans le « Mousnad » de l’Imâm Ahmad r.a. que sa chaîne de transmission est « hassan » – fiable.)

Il est à noter que la permission d’agir afin de faire disparaître certains défauts physiques douloureux est rapportée d’un illustre savant Moudjtahid, en l’occurrence l’Imâm Ibn Djarîr At Tabari r.a. (Réf : Fath oul Bâriy » – Volume 11 / Page 375-376, selon les références données dans « Al Moufassal »). Dr Abdoul Karîm Zaydân, entre autres, est d’avis que cette permission devrait être étendue aux défauts occasionnant une souffrance morale également (Réf : « Al Moufassal fi ahkâmil mar’ah » – Volume 3 / Page 409).

Les opérations de chirurgie esthétiques réalisées en cas de besoin ou de nécessité n’entrent donc pas dans le cadre de l' »altération de la création d’Allah » (« taghyîr khalqillâh »), qui a été définie plus haut. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que dans le Hadith rapporté par Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) (cité précédemment), celui-ci précise, au sujet de celles qui se font limer les dents, qu’elles agissent par coquetterie et donc dans un souci exclusivement esthétique (« lil housn »). C’est justement en considérant cela que d’illustres savants comme l’Imâm An Nawawi r.a. et Hâfidh Ibn Hajar r.a. écrivent dans leurs commentaires respectifs des Sahîh Mouslim et Boukhâri que la malédiction mentionnée dans le Hadith ne s’applique pas pour celle qui agit de la sorte en cas de besoin, dans le cadre d’un traitement ou afin de corriger une déformation au niveau des dents (Réf : « Char’h Mouslim »- Volume 14 / Page 107 et « Fath oul Bâriy » – Volume 10 / Page 373). Certains savants affirment que cette condition citée par Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou) en ce qui concerne celles qui se liment les dents -c’est à dire que leur geste soit motivé uniquement par une volonté d’embellissement (considérée comme excessive)- s’applique également aux autres attitudes mentionnées dans le Hadith. (Réf : « Awn oul Ma’boûd » – Volume 11 / Page 226)

– Par contre, la chirurgie plastique qui est faite dans un but purement esthétique, afin d’embellir les formes de certains organes ou pour atténuer les signes du vieillissement, et qui ne repose donc sur aucune nécessité ou besoin (reconnus comme tels, à la lumière de nos références religieuses), n’est pas permise. Elle est considérée par les juristes musulmans comme relevant de l’altération à la création d’Allah, dont la gravité a été évoquée plus haut. Cet avis d’interdiction est notamment celui énoncé par Cheikh Al Qaradâwi (Réf : « Al Halâl wal Harâm » – Page 86), Dr Abdoul Karîm Zaydân (« Al Moufassal » – Volume 3 / Page 410), Cheikh Khâlid Sayfoullâh (« Halâl o harâm » – Page 215), Cheikh Outheïmin r.a. (Réf : « Fatâwa Islâmiya » – Volume 4 / Page 412), Cheikh Mouhammad Ibn Mouhammad Al Moukhtâr Ach Chanquitiy (Réf : « Ahkâm oul Djarâhatit Tibbiyah ») et bien d’autres savants encore (Réf : « Bouhoûth li ba’dhin nawâzil al fiqhiyah al mouâsarah » – Pages 118). Sont donc interdits, par exemple :
-> le lifting (qui vise à rajeunir le visage en diminuant ou en supprimant les rides au niveau du front, des paupières ou du cou notamment…),
-> la chirurgie du sein (que ce soit pour l’augmentation mammaire par la pose de prothèse ou pour la diminution du sein, et ce, par pur souci d’embellissement),
-> le remodelage du nez ou rhinoplastie (lorsqu’elle est réalisée dans un but purement esthétique),
-> l’oroplastie, c’est à dire le remodelage de l’oreille externe (la même précision apportée pour les exemples précédents s’applique encore ici),
-> la chirurgie correctrice du menton reculé,
-> la chirurgie qui vise à augmenter l’épaisseur des lèvres,
-> les différentes plasties abdominales (mini-lift abdominal, lipectomie abdominale…), etc…

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !

Notes

*1– Voici quelques extraits du commentaire fait par l’Imâm An Nawawi r.a. par rapport à ce Hadith :

« (…) Quant à « an nâmisât », c’est celle qui extrait les poils du visage. « al moutanamissât » est celle qui lui demande d’intervenir à son profit. Cette pratique est aussi interdite sauf quand une femme voit pousser des poils sur son menton ou sous son nez. Dans ce cas, il ne lui est pas interdit de les enlever. (…)

Quant à « al moutafalidjât », c’est celle qui lime les dents pour créer de petites brèches entre les incisives. Elle exerce cette opération sur les femmes âgées afin de les rajeunir et embellir leur dentition. En effet, ces jolies brèches qui séparent les dents sont présentes chez les jeunes filles. Quand une femme d’un âge avancé commence à vieillir et éprouve de la nostalgie, elle se fait limer les dents pour se redonner du charme et une apparence rajeunie. Cette pratique est interdite aussi bien à celle qui la réalise qu’à celle qui la subit, compte tenu des Hadiths, et parce qu’elle constitue une modification de la création d’Allah, une tromperie et une dissimulation. » (« Cahr’h Mouslim » de An Nawawi, Volume 13/ Page 107)

Source : Sheikh Muhammad Patel

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